Pierre Ernest MARIÉ

(1817-1882)

Polytechnique (promotion 1837 ; sorti classé 117 sur 121 élèves).

Ecole des Mines de Paris. Ingénieur civil des mines.
Fils de Pierre Jean Baptiste MARIÉ, directeur d'une scierie (Montataire Creil Oise) et de Marie Eugénie NICAUD. Epoux de Antoinette Léontine SILVESTRE de CHANTELOUP. Père de Pierre Paul Georges MARIÉ (1853-1930 ; X 1873, ingénieur en chef des chemins de fer PLM).

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NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR M. ERNEST MARIÉ. INGÉNIEUR EN CHEF DU MATÉRIEL ET DE LA TRACTION DE LA COMPAGNIE P.-L.-M. ANCIEN ÉLÈVE EXTERNE DE L'ÉCOLE DES MINES
Par H. DELERUE, ingénieur en chef des ponts et chaussées en retraite.

Publié dans Annales des Mines, 8e série, vol. 2, 1882. L'année qui va finir a enlevé à l'affection de sa famille et de ses amis un homme honorable et distingué, M. Ernest Marié, ingénieur en chef du matériel et de la traction aux chemins de fer de Paris à
Lyon et la Méditerranée. C'était un homme énergique, peut-être un peu autoritaire, sévère, mais juste dans le service, et, dans les relations sociales, d'un commerce aimable et sûr. Ernest Marié est né en juin 1817.

Son père, Pierre Marié, était un maître de forges des plus estimés, habile et comme ingénieur et comme praticien. On lui doit plusieurs inventions et des installations, qui, en son temps, ont été remarquées. Il dirigea notamment les forges d'Imphy, et, plus tard, les forges de Port-Briais en Normandie.

Ernest Marié commença ses études chez ses parents" les continua au collège Rollin ; il s'y prépara à l'Ecole polytechnique, où il entra en 1837. Son caractère indépendant ne le portait point vers la carrière militaire ; aussi donna-t-il sa démission au sortir de l'École, en 1839, pour prendre la carrière qu'avait suivie son père. Il entra comme élève externe à l'École des mines, où il fit les études les plus sérieuses, sans négliger toutefois les exercices corporels, l'escrime et l'équitation, auxquels il se livra avec la passion de son âge, et où il eut pour maîtres Bertrand et Baucher.

Au sortir de l'École des mines, en 1842, il alla pendant quelque temps travailler avec son père, alors directeur des forges
d'Imphy ; mais cette existence était trop paisible pour son caractère ; il trouva une position qui lui offrait plus d'attraits, et
il quitta les forges d'Imphy en 1843. Il alla dans les Landes, où on lui confia la reconstruction des hauts-fourneaux de Pontins.
En même temps, il fut chargé de l'exploitation des grandes forêts de pins fournissant le charbon de bois aux hauts-fourneaux. Les forêts des Landes étaient, à cette époque, exploitées par des Espagnols sortis de tous les bagnes, véritables bandits, qui trouvèrent un maître redouté dans le jeune ingénieur; toujours à cheval et armé, il prit un grand ascendant sur ses ouvriers. La gendarmerie ne pénétrait jamais dans ces régions si mal habitées, et c'était au jeune directeur que les ouvriers s'adressaient pour trancher leurs différends. Malheureusement, atteint des fièvres, Marié fut bientôt obligé de quitter ses forêts des Landes, auxquelles il s'était déjà attaché, après deux années de séjour.

En 1845, il entra comme ingénieur au service d'une compagnie qui avait entrepris des recherches de minerais de cuivre en Algérie; il fut envoyé à Tenès (province d'Alger), où il resta près de deux ans. Là encore il put donner carrière à sa passion d'aventures; il se trouva au milieu de l'insurrection de Bou-Maza, et il transforma ses mineurs en soldats pour se défendre contre les agressions de l'insurgé. A cette époque, l'autorité militaire ne s'occupait pas toujours des intérêts des colons, et chacun était obligé de se défendre comme il pouvait. Ernest Marié avait su, d'ailleurs, prendre beaucoup d'autorité sur les Arabes en dressant les chevaux réputés indomptables, grâce aux leçons qu'il avait autrefois reçues de son professeur Baucher. Ses recherches de minerais de cuivre n'eurent pas grand résultat, et, à la demande de ses parents, il se décida à rentrer en France.

Tels furent les débuts de la carrière d'Ernest Marié jusqu'au moment où il entra au chemin de Lyon, qu'il ne devait plus quitter jusqu'à sa mort. Il entra à la compagnie de Lyon en mai 1846. Il fut pendant quelque temps secrétaire de M. Jullien, l'éminent ingénieur, alors directeur du chemin de fer; bientôt après, il fut nommé ingénieur du matériel fixe, et il dut, en cette qualité, préparer des marchés importants pour la fourniture des rails et des divers appareils de la voie ; il améliora et simplifia les dispositions de ces appareils, entre autres celles des signaux avancés des gares, qu'il fit manoeuvrer par un seul fil ; il installa sur tout le réseau les prises d'eau nécessaires à l'alimentation des locomotives.

En 1858, il dressa le projet du pont de Saint-Germain-des-Fossés sur l'Allier, pont à tablier métallique supporté par des colonnes fondées en lit de rivière au moyen de l'air comprimé, et le fit exécuter au Creusot; c'est à peu près à cette époque que remonte l'emploi de ce mode de fondation si répandu depuis; avant le pont de Saint-Germain, le pont de la Quarantaine sur la Saône, à Lyon, avait été établi ainsi par des entrepreneurs anglais. mais le travail avait laissé à désirer. A la suite de ces travaux, Ernest Marié fut nommé chevalier de la Légion d'honneur. Il construisit vers 1850 les premières machines à essayer la résistance des métaux, machines composées d une presse hydraulique pouvant exercer un effort de 100 tonnes et d'une balance donnant la mesure exacte de l'effort. Ces machines servaient à mesurer la résistance des éprouvettes (barres d'épreuve) à la traction, ou des rails à la flexion ; elles furent plus tard employées par la marine avec quelques modifications, et sont à présent d'un usage général. Il prit un brevet pour un système d'aiguilles se manoeuvrant à distance par l'eau comprimée au moyen d'un accumulateur. Ce système vient d'être repris aux États-Unis, où il paraît devoir être employé avec succès.

Ernest Marié se maria en 1852. Il épousa la fille d'un magistrat, M. Silvestre de Chanteloup, qui termina sa carrière à la Cour de cassation. Son existence fut dès lors partagée entre ses occupations et sa famille. Il trouva dans sa femme une compagne dévouée. Pendant qu'il était attaché au service du matériel fixe, Ernest Marié dirigeait en même temps le service des combustibles; il construisit trois usines a agglomérer, où la compagnie du chemin de fer fabrique depuis cette époque une grande partie des agglomérés qu'elle consomme ; il établit les magasins de combustibles, et organisa la comptabilité de ce service. En 1857, lorsque M. Leconte remplaça M. Sauvage comme ingénieur en chef du matériel et de la traction, il ajouta à ses fonctions précédentes celles d'ingénieur inspecteur du matériel et de la traction.

En 1863, au moment de la fusion des services du réseau nord et du réseau sud, il quitta définitivement le service du matériel fixe et fut nommé ingénieur en chef adjoint à M. Leconte. C'est à ce moment de sa vie qu'il aborda un travail considérable : les services du réseau nord et du réseau sud étaient dirigés d'une façon tout à fait différente. Ernest Marié dut refaire l'organisation du service sur des bases nouvelles s'appliquant également bien aux deux réseaux, il donna ainsi au service du matériel et de la traction une unité d'organisation nécessaire à tous égards. Ce travail considérable fut fait en quelques mois; on peut en retrouver la trace dans les nombreuses instructions qu'il dressa à cette époque. En même temps, il entreprit un travail d'une grande importance, tant au point de vue du service qu'à celui de la dépense : c'est la détermination précise des charges à remorquer par les différentes machines sur les diverses parties du réseau.

Avant cette époque, on avait bien fait des expériences pour déterminer la résistance des trains à différentes vitesses, mais les formules qui avaient été publiées ne concordaient pas entre elles et n'étaient pas appliquées en service courant; les charges des machines étaient fixées suivant les besoins, d'après les indications de la pratique; les règles grossières que l'on appliquait ne tenaient pas compte des circonstances si variées de la traction des trains, de sorte que, par prudence, on faisait remorquer aux machines des charges bien inférieures à celles qu'elles eussent pu traîner. Cet état de choses appela l'attention de Marié; on pouvait, en effet, espérer que l'on arriverait à forcer, peur-être de 15 à 30 p. 100, les charges des machines en les calculant par des formules précises et s'appliquant à toutes les circonstances de la pratique.

On comprend tout l'intérêt qu'il y avait à augmenter ainsi les charges; cela revenait à diminuer notablement le capital affecté à la construction et à l'entretien des locomotives, et le personnel des mécaniciens et des chauffeurs, Ernest Marié entreprit, dans ce but, de nombreuses expériences sur les points suivants :
1° Détermination de la puissance des locomotives en fonction de leurs dimensions;
2° Détermination de la résistance des trains et des machines;
3° Division des lignes du réseau en sections assimilables à une rampe ou à une pente déterminée.

Lorsque ces expériences furent terminées, il publia un livret où les charges sont calculées d'avance pour chaque type de machine, chaque vitesse et chaque section du réseau. Ce livret est employé sur tout le réseau depuis 1863 ; il est entre les mains des chefs de dépôt et chefs de gare, qui l'appliquent sans difficulté. Enfin, il établit sur des bases fixes et réglées le calcul des primes des mécaniciens pour l'économie de combustible. Jusqu'alors ce calcul était abandonné aux chefs de dépôt qui déterminaient les primes d'une manière plus ou moins rationnelle, et pouvaient, même sans le vouloir, favoriser certains mécaniciens aux dépens des autres. Ernest Marié établit un système de comptabilité évaluant le travail fait par les machines non par trains kilométriques, mais en unités de travail ou kilogrammètres, ce qui permet de comparer la consommation des machines sur les profils les plus différents.

Les mécaniciens sont classés par ce procédé tous les mois, dans chaque dépôt, d'après leur consommation de charbon par unité de travail, et les primes ou retenues sont calculées en conséquence. Nous avons insisté un peu longuement sur ce travail du calcul des charges et des primes des mécaniciens, parce qu'il constitua un grand progrès dans la science de la traction. Ernest Marié a publié dernièrement ses anciens calculs relatifs à ce travail (Lettre-circulaire du 1er juillet 1881, - Matériel et traction). Il eut dans ces travaux un collaborateur savant et laborieux dans la personne de M. Deloy, qu'il avait pris comme second en 1869, lorsque, à la mort de M. Leconte, il fut nommé ingénieur en chef du service. Une des plus belles créations de M. Marié dans la traction est sans contredit l'organisation des dépôts de machines.

Les anciens dépôts étaient nombreux et peu importants ; dans le nouveau système, on en fait de grands où les machines sont réunies. En réduisant le nombre des dépôts, on a pu donner plus d'importance aux attributions du chef de dépôt ; les mécaniciens se trouvent alors sous les ordres d'un homme instruit et capable ; les installations accessoires telles que réfectoire, salle de bains, etc. , peuvent être établies d'une manière plus confortable, et un atelier joint au dépôt permet d'exécuter sur place les petites réparations, et de ne faire rentrer les machines dans les grands ateliers que pour les réparations considérables. M. Marié donna une grande extension à ces ateliers; il développa beaucoup l'atelier de Paris; dans ces dernières années il fit des ateliers d'Oullins un établissement de premier ordre en rapport avec l'importance du réseau de Paris-Lyon-Méditerranée.

Un grand nombre de locomotives ont été construites dans ces ateliers à un prix de revient notablement inférieur à celui de l'industrie, et il en est résulté, depuis bien des années, une économie considérable pour l'établissement du matériel de la compagnie; les ateliers étant dirigés d'une façon toute industrielle, le prix de revient est à peine égal à celui de l'industrie, et la situation de la compagnie lui permet d'ailleurs de passer des marchés de matières premières plus avantageusement que beaucoup d'industriels, en sorte qu'elle profite du bénéfice qu'auraient fait ceux-ci. Marié construisit aussi de grands ateliers de wagons où les réparations sont faites rapidement et économiquement comme dans les ateliers et dépôts de machines. Il avait aussi institué un bureau des études très complet où s'établissaient et se conservaient tous les dessins d'ensemble et de détail du matériel et des installations d'ateliers; en remettant au constructeur ces dessins complets, il assurait l'unité des types, ce qui est d'une importance majeure.

Dans ces dernières années, M. Marié reconnut la nécessité d'établir un contrôle sérieux pour la réception des métaux, des bois et des machines fournis par l'industrie. Il fit établir à Paris un atelier des essais dans lequel figurent deux machines d'essai à 100 tonnes, rappelant la machine citée plus haut qu'il avait fait construire autrefois pour l'essai des rails. M. Marié s'occupait beaucoup des études, et une grande partie du matériel a été créée par lui-même. Signalons en particulier la machine à quatre essieux couplés pour montagne, la nouvelle machine express à quatre essieux et à distribution intérieure, la nouvelle machine à marchandises à quatre essieux dont trois couplés, etc... C'était un travailleur infatigable arrivant toujours le premier à son bureau et le quittant après tout le monde.

Il est juste de dire que M. Marié fut secondé dans ses travaux par des agents d'élite, d'abord dans le matériel fixe par un jeune ingénieur, Georges Tardieu, mort à la peine, ensuite, dans le service bien plus important du matériel et de la traction, par MM. Deloy, Boutmy, Léon, Lebasteur, qui, eux non plus, n'ont pas ménagé leur peine, ni marchandé leur dévouement, et en dernier lieu, par M. Henry, ingénieur au corps national des mines, son adjoint alors, et actuellement son successeur. Pendant la guerre, lorsque M. Audibert, le regrettable et regretté directeur de la Compagnie, quitta Paris pour assurer l'exploitation des lignes non envahies par l'armée allemande, M. Marié le suivit, comme les autres chefs de service, et contribua pour sa part à cette exploitation et aux transports considérables de troupes qui eurent lieu pour la défense du pays.

Après la guerre, M. Marié rentra à Paris; il y resta pendant les premiers temps de la Commune, et n'en sortit quand il apprit qu'un mandat d'amener avait été lancé contre lui. Lors de l'exposition de 1878, il rendit bien des services, et comme membre du comité d'installation, et comme membre du jury pour les chemins de fer. Il était membre du Comité d'exploitation technique des chemins de fer au ministère des travaux publics, et là aussi il fut utile. Ernest Marié reçut en 1879 la croix d'officier de la Légion d'honneur, juste récompense de ses travaux. Il paraissait à cette époque pouvoir fournir encore bien des années de travail, mais sa santé s'altéra, et le 25 août dernier il fut enlevé à sa famille, à ses amis, à son service. Il n'avait que soixante-cinq ans.

Sa mort a laissé un grand vide parmi les siens, mais si quelque chose peut adoucir la douleur de sa perte, c'est le témoignage d'affection que lui a donné son personnel en se joignant à sa famille, à ses chefs et à ses collègues pour l'accompagner à sa dernière demeure. M. Marié laisse un fils, élève de l'École polytechnique, qui marche sur les traces de son père; entré en 1878 au chemin de fer de Lyon, il débuta dans les ateliers de Paris et au service du matériel; il fut ensuite ingénieur adjoint au contrôle des travaux extérieurs, et se trouve aujourd'hui à la tête de la division des combustibles. Il a publié dans les Annales des mines quelques travaux sur les outils d'ajustage, les régulateurs, la mesure des hautes pressions.
Paris, le 28 décembre 1882.

Source : http://www.annales.org/archives/

 

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